Ce documentaire a été projeté au Ciné-Bourse à Saint-Junien le 26 avril, en présence de l’auteur, de deux des personnes qu’il a enregistrées, de Robert Hébras et de Philippe Lacroix, maire d’Oradour.
Gravité, subjectivité et universalité du message, voilà ce que perçoit le spectateur.
Grave est le regard porté sur les ruines qui sont filmées en plans longs et fixes, dans un noir et blanc intemporel et par l’insertion de documents photographiques, sans commentaire superflu ; ce parti pris dépasse l’esthétisme, évite le pathos et exprime le respect dû à ce lieu hanté par le souvenir des 642 victimes du 10 juin 1944.
Graves et subjectifs sont les propos de l’auteur et des quatre intervenants qu’il a retenus.
Jérôme Amimer marqué par le destin de sa grand-mère russe, survivante d’un massacre au sud de Pskov, lie l’évocation de ce passé familial à sa représentation du drame d’Oradour, un « monument intérieur » dans son espace mental.
Jean-Michel Ducouret, en tant que guide, témoigne de l’atmosphère de recueillement qui a prévalu et prévaut encore dans la visite, entre pèlerinage et tourisme de mémoire. Relatant les travaux de consolidation et d’entretien, il insiste sur l’importance de la conservation des ruines.
Héloïse Belloir, historienne, rejoint cette préoccupation, inquiète de l’avenir d’un lieu érodé par le temps et la reprise de la vie. Dans son étude des « monuments et documents non intentionnels », traces à partir desquelles se construit la mémoire, elle a trouvé matière à Oradour dans les objets de la vie quotidienne, recueillis, réintroduits, mis en scène, sacralisés en reliques des martyrs : des documents à contextualiser, des indices de vies fauchées par le massacre.
Claude Milord, président de l’Association des familles de martyrs d’Oradour, rappelle les relations avec l’État, en particulier la rupture après le procès de Bordeaux, à l’issue duquel les incorporés alsaciens furent amnistiés (et non « graciés »). Il insiste sur la « solidarité » envers et entre les familles et sur le poids du deuil qui marque durablement cette « communauté de souffrance ».
Benoît Sadry, élu municipal, aborde le long chemin de l’apaisement dans l’opinion des habitants, avec la réception de personnalités nationales, le rapprochement avec l’Alsace et l’Allemagne, la mise en place de la statue de Fenosa (refusée par l’évêché, et non par la commune) ; des habitants auparavant écartés des décisions de la reconstruction, « dépossédés de leur village » et sans soutien psychologique en ce temps-là.
Des « récits » particuliers, où affleure l’émotion, parfois discutables, mais légitimes, suscitant la réflexion.
Points de vue personnels mais de portée universelle, érigeant Oradour en symbole, « miroir d’autres désastres », contemporains (innombrables massacres du front oriental) et aussi actuels, des crimes qui frappent l’humanité toute entière.
Dans le débat qui a suivi la projection, Robert Hébras a tenu à rappeler que, pendant neuf ans, les habitants d’Oradour, logés en baraquements, ont subi l’épreuve de la traversée quotidienne du village en ruine.
En conclusion, Jérôme Amimer livre une œuvre utile, posant à plusieurs voix l’enjeu de la transmission (aucun des interlocuteurs n’a vécu l’évènement), un questionnement significatif de la transition entre le temps des témoins et celui des nouvelles générations pour qui le sens des ruines d’Oradour devra perdurer. C’est déjà la mission des services des Monuments historiques et du CMO, un devoir d’histoire.

Philippe Pommier