Le dernier témoin1 d’Oradour-sur-Glane, Harper-Collins, 2022
On ne peut qu’être touché par l’empathie et la sincérité de ton de Mélissa Boufigi, journaliste à Ouest-France, dans l’ouvrage qu’elle a consacré à Robert Hébras et à sa petite-fille Agathe, associés avec délicatesse comme co-auteurs.
À l’origine d’une relation de confiance : une rencontre au cours d’un reportage à Oradour en 2020. Il s’agit, selon l’auteure, d’un « récit de vie », où elle croise, d’un chapitre à l’autre, les confidences autobiographiques de Robert avec le rappel documenté2 de la tragédie du 10 juin 1944 et de ses suites, procès de Bordeaux et de Berlin-Est. On y trouve la réponse à deux questions. L’une, intime : qui était ce jeune homme de 1944, dont le destin personnel et familial a été frappé par l’irruption d’une horde guerrière dans un village jusqu’alors épargné par la guerre ? L’autre, sur la portée et la pérennité de son témoignage : comment entretenir et transmettre la mémoire de ce crime de guerre ? Le lecteur pourra parcourir les souvenirs d’enfance et de jeunesse, puis les années où le survivant a dû refouler l’horreur subie et se relever, absorbé dans son travail quotidien de mécano, avant de s’engager au service de la mémoire des 643 victimes, portant un témoignage nécessaire, éprouvant, donnant sens à toute une vie.
Depuis plus de quarante ans, en effet, il accomplit sans relâche un devoir, celui d’informer les générations et d’interpeller les consciences. Il peut exprimer avec exactitude, lui, l’un des cinq survivants de la fusillade de la grange Laudy, ce que fut le drame vécu par les habitants de son village et dire avec pudeur le traumatisme éprouvé à la découverte du sort atroce des femmes et des enfants dans l’église. Traumatisme personnel de la disparition de Marie, la mère, et des deux sœurs, Georgette et la petite Denise, douleur ineffaçable sur laquelle Mélissa Boufigi trouve les mots justes.
Robert a pris à cœur son statut de témoin, résumant son propos dans la formule « ni haine, ni oubli ». Ce message a eu un écho en Allemagne, ainsi auprès de l’ancien chancelier Willy Brandt qui l’a invité en mai 1985 à une bien nommée « Conversation pour la paix », dans un lieu symbolique, Nüremberg. « Orfèvre de la paix »3 il a reçu un gage de reconnaissance le 4 septembre 2013, des présidents Joachim Gauck et François Hollande, en les accompagnant sur les lieux du massacre.
Ce livre vient compléter les trois ouvrages où Robert a transcrit son témoignage, dont l’indispensable Avant que ma voix ne s’éteigne4. Son souci de fidélité aux victimes d’une idéologie criminelle et de prévention contre la déformation des faits, voire leur négation, ne cesse de l’inspirer ; c’est le sens de l’engagement de notre association à ses côtés.
Mais la marche inexorable du temps le préoccupe, bien qu’il fasse preuve d’une vitalité exceptionnelle et d’une disponibilité qui force l’admiration face aux innombrables sollicitations. Dans ce livre Mélissa Boufigi envisage, pour ainsi dire, un passage de témoin, en relatant l’initiation d’Agathe, sa petite-fille. À elle est désormais dévolu un rôle de « passeuse de mémoire ». Une prise de responsabilité, une vocation confirmée par des études d’histoire et une mission au sein de la Fondation du patrimoine, de quoi réjouir son grand-père et le rassurer : sa voix ne s’éteindra pas.
Philippe Pommier
1 Raccourci pour les besoins du titre : Robert est le dernier témoin direct, le dernier survivant du massacre.
2 L’auteure a le mérite de citer ses sources et ses références filmo- et bibliographiques. À ces dernières, manquent cependant les travaux de Jean-Jacques Fouché, Oradour (Liana Levi, 2001) et Oradour, la politique et la justice (Lucien Souny,2004).
3 C’est le beau titre que lui donne Mélissa Boufigi, p 147.
4 Elytel éditions, 2014. Entretien avec le journaliste Laurent Borderie, qui, dans le Populaire de Centre, en 2012, a donné l’alerte à propos de la condamnation malencontreuse de Robert Hébras par la cour d’appel de Colmar, à la suite d’une correction omise par son éditeur dans son premier récit, Oradour, le drame heure par heure.
Injustice qui a motivé la création de notre association et que la Cour de cassation a heureusement annulée.