Romain Garnier, Oradour-sur-Glane. Autopsie d’un massacre, essai historique. Paris, Elytel-éditions, 2014, 197 p.

Un des ouvrages publiés au moment du 70e anniversaire du drame d’Oradour attire l’attention par son intitulé « Autopsie », son sous-titre « essai historique », les statut universitaire de son auteur, l’abondance des notes infra-paginales, la présence d’annexes  (chronologie, glossaire, bibliographie « raisonnée ») . De quoi présumer un travail sérieux. Arrivé au bout de cet opus, heureusement succinct, le lecteur en est pour ses frais.

Une autopsie suppose un examen minutieux et approfondi, à défaut d’être exhaustif, des effets de ce qui a été commis à Oradour, à commencer par tout ce qui a été infligé aux victimes. Contrairement à ce que  l’auteur déclare en introduction (« parfois, on a parlé des victimes », p. 15), de nombreux ouvrages ont décrit les souffrances des 642 victimes et les outrages subis ; l’ANFM entretient leur souvenir ; le CMO inscrit leur destin personnel dans l’histoire. Or, dans son « autopsie », l’auteur ne les « ausculte » qu’à partir de la page 135 (sur un texte qui en compte à peine 175).

Une autopsie suppose un relevé d’indices suffisamment précis pour déterminer la nature et l’ impact des actes criminels, pour en déduire les causes, les moyens utilisés, une chronologie, pour contribuer à établir les responsabilités. Dans ce but, l’auteur aurait dû effectuer une recherche à partir de sources de première main. Ce n’est pas le cas. Il a pour soucis premiers le détail de l’armement et le respect de l’orthographe allemande (p. 121). Quelques lignes donnent une touche d’actualité (visite des présidents allemand et français, p. 165, et procédure engagée par le procureur de Dortmund, p. 174), mais aucune information nouvelle n’est apportée à ce qui est déjà publié.

Une autopsie  suggère une dissection et peut exciter, hélas, une curiosité morbide. Dans ce registre l’auteur livre quelques pages « gore » (p. 139,  147-148), dont la citation sera ici épargnée. Cependant l’insupportable est atteint à propos de la « foule des femmes et des enfants, qui avaient attendu plus d’une heure dans l’église qu’on daignât les exterminer » (p. 144).

Un essai historique n’est pas une expertise judiciaire, mais il exige une enquête scrupuleusement exacte et un traitement rigoureux des informations. Or, « l’essai » de M. Garnier abonde en  inexactitudes, approximations et contradictions dont l’inventaire serait vain et lassant.  Retenons seulement quelques exemples.

La réalité du village martyr est mal connue : il est à deux reprises mis « totalement à l’écart du monde » (p. 104 et 112), évoqué sur un ton bucolique (« dans la campagne prochaine, les vaches paissaient aux bords des halliers, goûtant la fraîcheur de la Glane », p. 116), mais il ne compte plus que deux exploitations agricoles en 1944 (confusion entre bourg et commune, p. 112) ;   la  « distribution de viande » (n. p. 133), venue s’ajouter aux rations de tabac le samedi 10 juin, est une invention (p. 133), et le transfert  des cendres des martyrs (qui « ne retournèrent dans la crypte nationale qu’en 1974 ») n’a pas eu lieu (n. p. 164) ; enfin, l’auteur a cru observer que « les ruines achèvent de se désagréger » (p. 174-175) : si l’entretien des vestiges pose problème à  l’administration des Monuments historiques, le stade ultime de l’érosion n’est pas atteint.

Le contexte est aussi malmené : anachronisme quand, « en septembre 1939, plusieurs secteurs du Bas-Rhin furent évacués d’office par l’État français » (n. p. 118), instauré en juillet 1940  ; deux abus de langage dans une même phrase  : « Oradour envoya quatorze déportés au STO »   ;  incohérence sur les motifs de l’action des FTP à Tulle (p. 80) ; note incompréhensible sur les relations entre AS et FTP (n. p. 87) ;  titre d’un chapitre qui  ferait croire que « les Allemands arrivent à Limoges » (p. 93) seulement en juin 1944 ; ratiocination sur le bien-fondé de l’usage des blindés dans l’éradication des maquis au moment du débarquement (p. 64) ; erreur avec les « missions de ratissage dans les maquis » attribuées au régiment Der Führer (p. 72) ;  d’une page à l’autre, pour l’opération menée à Oradour, « tout se passe comme prévu » (p. 134), plus loin « rien n’avait été planifié » (p. 144)…

L’annonce d’une « présentation panoptique » de l’événement (p. 15) laissait espérer une démarche originale : à partir du point d’observation du massacre, des angles d’analyse embrassant tous les éléments du contexte. Au lieu de cela, un cheminement convenu de l’évolution générale du conflit, avec de longues considérations stratégiques et un inventaire fastidieux des troupes d’occupation sans mise en relation avec le sujet, jusqu’aux drames limousins de Tulle et Oradour, épisode qui n’est enfin abordé qu’aux deux tiers de l’ouvrage.

Le lecteur est alors emporté dans un scénario de fiction où un rôle de premier plan est donné aux officiers SS, à qui sont prêtés des caractères stéréotypés, des profils psychologiques (à partir de photos !) et des comportements imaginaires : « bonhommie » (H. Kämpfe), « penchant pour l’alcool », et « sourire narquois » d’une « incarnation de l’Ordre noir » (A. Diekmann, p. 127), ricanement (H. Barth, p. 127), impatience des servants de mitrailleuses qui, ensuite, « tirent jusqu’à en avoir mal aux mains » (p. 139) .  Parmi les jeunes recrues, « qui n’ont jamais connu la guerre  ni les femmes » et sont  promises à « perdre leur pucelage » (p. 129), les « malgré nous » ne sont pas ménagés, « grisés par la folie du carnage » (p. 141). Deux pages  (p. 128-129) reconstituent l’opération d’encerclement du 10 juin ; le ridicule se mêle au récit à suspense : « la tension est palpable, et l’air est  immobile : les champs sont désertés par les cultivateurs, et le village est encore invisible, noyé dans un écrin de verdure protectrice ». « Les moteurs ronflent comme des fauves » ; les grenades à manche « ressemblent à des presse-purée » ; les tenues camouflées SS sont « faites de petits pois multicolores » (p. 129)…  La mise en scène ferait rire si on oubliait la réalité de la tragédie.

Pour finir, cette publication, dans sa conception affabulatrice et par ses trop nombreuses erreurs et ses maladresses, ne sert pas le « devoir de mémoire » invoqué par l’auteur, maltraite un fait historique, peut donc faire le jeu du négationnisme et nuit au crédit de l’éditeur.

 

Philippe Pommier