Guy Penaud, Oradour-sur-Glane. Un jour de juin 1944 en enfer. La Crèche, Geste-Editions, 2014

La commémoration du massacre d’Oradour-sur-Glane, 70 ans après, fait l’objet d’une série de publications d’intérêt inégal. Parmi elles, le dernier ouvrage de Guy Penaud, présenté en 4e de couverture comme « l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de l’Occupation » et surtout connu pour ses ouvrages sur la Résistance et le personnel politique en Dordogne.
L’auteur assume dans son introduction une « tâche de re-écriture historique… aujourd’hui nécessaire  » (p. 17). Ambition animée par l’intention louable de s’opposer d’une part aux négationnistes et à leur « entreprise de dévaluation des écrits officiels, avec une destruction systématique de la validité des témoignages des victimes et une trituration perfide des récits des témoins », d’autre part aux « historiens officiels » de la Waffen-SS, enfermés dans l’auto-justification. Mais une ambition qui, à la lecture, nous semble loin d’aboutir.
Cette « re-écriture » était-elle si « nécessaire » ? Elle le serait à condition de dépasser la reprise d’écrits précédents et d’apporter des éléments nouveaux sur l’événement tragique du 10 juin 1944.
L’auteur atteste de la consultation de nombreux fonds d’archives ; cette édition destinée à un large public l’autorisait évidemment à se passer d’un relevé détaillé de ses sources. Mais sa bibliographie, hétéroclite, est révélatrice d’une documentation insuffisamment actualisée. Sur le contexte de 1944, est-il « nécessaire » de se référer à Robert Aron, si indulgent pour Vichy et si exagéré sur l’épuration ; passons aussi sur le best-seller Amouroux, alors que les travaux de J.-P. Azéma, Ph. Buton, P. Laborie, P. Lieb, O. Wieviorka… sont ignorés. Sur Oradour, l’auteur insère de nombreux emprunts à la plaquette Comprendre Oradour et aux documents du CMO, mais n’a pas retenu deux ouvrages réédités récemment : celui de Sarah Farmer, Oradour. Arrêt sur mémoire, Calmann-Lévy, 1994 (rééd. Tempus, 2007), premier travail universitaire sur la construction du lieu de mémoire, et celui de Jean-Jacques Fouché, Oradour, Liana Lévi, 2001 (rééd. 2013), fruit du travail de recherche du chef de projet du CMO, synthèse d’informations inédites. Un second livre de J.-J. Fouché, Oradour, la politique et la justice, est cependant cité et exploité. Il est aussi étonnant de ne pas signaler l’« écrit officiel », dont on sait l’intérêt mémoriel pour les familles des victimes : Oradour-sur-Glane. Vision d’épouvante de Guy Pauchou et Pierre Masfrand, plusieurs fois réédité. L’orthographe du nom de Denise Bardet, la jeune institutrice à peine évoquée (p. 208), est malencontreusement incorrecte. Sans entrer dans un relevé fastidieux d’inexactitudes, le décompte des morts dans le drame de Tulle ne peut passer, lorsque, après rappel des 99 pendus et de nombreux déportés, l’auteur croit devoir concéder : « il est vrai que les morts allemands avaient été plus nombreux » (p. 303). Texte mal relu ? Parlait-il seulement des combattants tombés lors de l’assaut des FTP (7-8 juin) ?
L’absence de crédits photographiques est aussi regrettable.
Le contenu de l’ouvrage, déséquilibré, peu structuré, confine à la compilation. De très longs préalables repoussent à la page 203 la relation des faits, ce « jour de juin 1944 en enfer », selon le titre du livre. Pour la lisibilité et la continuité du propos, les listes reprenant les organigrammes, les tableaux d’effectifs, voire les textes cités in extenso devaient être renvoyés en annexes, au lieu d’être livrés sans en dégager les éléments démonstratifs. Les notices sur les états de service des officiers SS sont citées sans guillemets et sans prise de distance à propos des faits  qui leur valent des promotions. La réfutation des prétextes émis par les négationnistes (enlèvements de Plehve, Kämpfe, Gerlach…) manque de clarté.
La « re-écriture » annoncée de l’histoire de l’événement « Oradour » débouche sur la reprise d’explications aujourd’hui admises – notamment grâce au CMO –, c’est-à-dire l’application drastique des ordres de Sperrle et Lammerding dans une région « infestée par les  bandes », selon leur terminologie ; une action terrorisante pour discriminer les résistants, qui a eu l’effet inverse en raison de l’horreur ressentie dans la population ; un crime qui n’épargne ni les femmes, ni les enfants – ici, Guy Penaud apporte des informations complémentaires, en relatant les atrocités commises les jours précédents par le bataillon de Diekmann dans le sud de la Dordogne ; une extermination systématique pour effacer les traces du crime ; une frustration quant à l’impunité des responsables. Hélas, on retrouve dans le texte l’hypothèse récurrente d’une confusion avec Oradour-sur-Vayres, qualifiée de « rumeur » (p.238), mais réactivée une page plus loin et encore répétée en conclusion (p. 305) : « Bien que beaucoup d’historiens doutent de cette hypothèse, on ne peut pas totalement exclure que les officiers de la Das Reich aient été amenés à faire une confusion entre Oradour-sur-Glane et Oradour-sur-Vayres… »
Trois cents pages pour retomber dans ce travers… ou comment l’opportunisme éditorial fait régresser l’écriture de l’histoire.

Philippe Pommier